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La Pau de mes yeux

 

On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Et pourtant, c’est vers ce chiffre symbolique que se dirige Dario Siragusa, hôte depuis seize ans presque consommés d’une cité historique qui fit des rois, défit les religions de ces mêmes futurs monarques, mais sut se rendre attachante et presque indispensable à tant d’artistes de tout horizon. A tant de villégiateurs, de fins de race, de poètes locaux promis à un avenir retentissant et à de plus obscurs mais non moins talentueux visionnaires, tel Jové le photographe de Pau et de ses environs, s’associe ce nouveau visiteur.

 

A ne savoir où faire de l’oeil, un italien pourrait y perdre son latin ancestral, mais celui dont nous parlons, ce Méditerranéen échoué dans un piémont si rural et si célèbre dans le même temps, ce poète mâtiné de rationalisme et d’esthétisme, de partage et d’attention, de regards et d’égards pour la chose dite, de cuisine cosmopolite composée en pensée sur un carreau des halles révolu maintenant, ce promeneur de la faconde d’un autre Hédas, des crissements du zinc sur des tours démantibulées par une tempête pourvoyeuse d’un autre visage futur d’un coin de quartier, ce promeneur, en plus de 15 000 clichés dont seuls subsistent aujourd’hui 17, dit à sa manière : « Pau, toi qui m’as accueilli, je te le rends à ma manière »

 

Combien en a-t-il mis à contribution pour extraire le nectar de tant de photos, comme sur les coteaux on guette le meilleur des vendanges tardives ? Nous sommes quelques-uns, anciens palois, palois d’adoption, et non autochtones à avoir eu la chance de plonger dans ce fonds si ample qu’il donnerait le vertige si l’on n’était pas habitué des a pics si proches qui se reflètent dans le belvédère dont Lamartine anoblit Pau d’une demi-gloire qui rayonnerait bientôt comme autant de gloires sur la cime des montagnes.

 

Choisir parmi tout et parmi rien : qui dira Pau ? Qui dira seize ans de promenades à toute heure du jour et de la nuit. Qui dira, à part ceux si prévisibles d’un Je sais que j’habite Pau, parce que, alors que justement lui habite une autre peau de Pau. Contrairement, ou à l’instar du Poulpe de Cesare Battisti, Dario aura ta peau. Mais laquelle t’habite vraiment, ville aux cents visages, lisse comme l’Hôtel du Département, fripée au pied du piémont du château, versatile comme le miroir aux alouettes de la fête foraine, inconnue de presque tous quand un escalier timide comme une adolescente escalade une volée de marche vers un reposoir improbable. Qui dira le cube des Halles rectiligne avec sa peau de serpent, puis juste à portée l’ancienne Miséricorde pommelée de galets, de nuages si bien fardés qu’ils ne dureront qu’un instant. Qui saurait dire encore la défunte Place Récaborde dans un ultime sursaut de vie ?

 

Parfois témoin, et tant d’autres avant lui, mais d’abord photographe avec en bandoulière la technique maîtrisée ou dépassée de l’instant. Photographe d’abord, avec cette sensibilité de l’argentique, cette petite merveille chimique mariée à la chimie du cerveau à travers un iris et un nerf optique. Alors, sépia, presque passés, des vues intemporelles du Parc Beaumont, du château et de l’Hôtel Gassion, une marmelade de nuages sur les pics insondables des Pyrénées et des vues que nul passant du boulevard des Pyrénées n’apercevra jamais, mais collent à Pau pour quelques privilégiés.

 

On voudrait tout. Mais on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans.

 

Thomas Bordaldea

12 sept 22

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